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Page:Daudet - Jack, II.djvu/341

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pains vendre sa montre et une bague qui lui venait de sa mère. C’est que l’argent était rare rue des Panoyaux. Toutes les économies de Jack avaient passé à l’achat du petit mobilier de Charonne, les tiroirs sonnaient le vide, et le ménage de Bélisaire se trouvait lui aussi tout à fait au dépourvu par suite de ses frais de noce et d’installation. N’importe ! pour soigner ce malheureux abandonné, le camelot et sa femme s’étaient sentis capables de tous les sacrifices. Après avoir porté au Mont-de-Piété des matelas, des meubles, ils avaient engagé une cargaison de chapeaux de paille qu’il faudrait à tout prix retirer au printemps. Mais même ce sacrifice ne suffisait pas. Tout est si cher, le bois, les médicaments… Vraiment ils n’avaient pas eu de chance avec les Camarades. Le premier, un ivrogne, paresseux et gourmand ; le second, la perfection même, devenant une lourde charge par le fait de sa maladie. Dans le voisinage, on leur conseillait de mettre Jack à l’hôpital. « Il sera mieux que chez vous ; il ne vous coûtera plus rien. » Mais ils s’entêtaient avec un certain orgueil à garder leur ami auprès d’eux, comme s’ils eussent manqué aux devoirs de l’association en le confiant à d’autres soins. Maintenant ils étaient à bout. Et la gravité du mal correspondant avec cette détresse imminente, ils s’étaient décidés à prévenir Charlotte, « la belle madame, » comme disait la porteuse de pains d’une voix indignée. C’est elle qui avait envoyé son mari :