Aller au contenu

Page:Daudet - Jack, II.djvu/355

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelle chacun les écoutait. Cet homme allait mourir ; mais Jack était trop malade lui-même, trop absorbé pour se rendre compte de ce sinistre voisinage. Il entendit à peine Bélisaire lui dire « au revoir » en lui promettant de revenir le lendemain, puis un bruit de marmites et d’assiettes occasionné par la distribution de la soupe, ensuite un chuchotement près de son lit, où il était question d’un certain « onze bis » qu’on disait très malade. C’était lui que l’on désignait ainsi. Il ne s’appelait plus Jack, mais le « Onze bis » de la salle Saint-Jean-de-Dieu. À défaut de sommeil, il se sentait déjà engourdi, anéanti par sa grande fatigue, quand une voix de femme, tranquille et claire, lui fit faire ce brusque sursaut où s’envole le premier somme.

— La prière, messieurs !

Il entrevit vaguement près de l’autel l’ombre d’une femme agenouillée dans les plis grossiers de la bure ; mais il essaya en vain de suivre sa récitation très vive, un peu chantante, et qui tombait de cette bouche accoutumée à la prière, sans arrêts ni soupirs. Cependant ces derniers mots arrivèrent à son oreille attentive :

« Protégez, ô mon Dieu ! mes amis, mes ennemis, les prisonniers, les voyageurs, les malades et les agonisants… »

Jack s’endormit alors d’un sommeil fiévreux, agité, où les plaintes de l’agonie voisine se mêlaient pour lui à des visions de prisonniers secouant leurs chaînes, et de voyageurs cheminant sur une route sans fin.