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Page:Daudet - Jack, II.djvu/42

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tant Jack se rappelait vaguement qu’il avait été protégé par le camelot. Sa courbature lui remettait en mémoire une lutte au milieu d’une gare dans un éparpillement de chapeaux et de casquettes dispersés par un grand vent. Tout cela confus, trouble, hésitant, et comme barbouillé de lie.

— Est-ce vous, Bélisaire ?

— Oh ! oui, c’est moi, fit le camelot d’une voix rauque, avec un accent désespéré.

— Mais, au nom du ciel, qu’est-ce que nous avons donc fait, qu’on nous enferme ici comme deux malfaiteurs ?

— Ce que d’autres ont pu faire, je n’en sais rien, et ça ne me regarde pas. Mais je sais bien que moi je n’ai fait de tort à personne, et que c’est une vraie méchanceté de m’avoir mis mes chapeaux dans un état pareil.

Il s’arrêta un moment, encore secoué de sa terrible bataille, regardant son désastre devant lui dans la nuit noire, toute sa cargaison piétinée, foulée, disparue. Cet affreux spectacle qu’il avait constamment sous les yeux depuis la veille l’empêchait de sentir le sommeil, la fatigue de son corps garrotté de chaînes et de cordes, jusqu’au supplice habituel du brodequin auquel sa destinée errante et sa difformité le condamnaient.

— Est-ce qu’on me les payera, dites, mes chapeaux ?… Car enfin, moi, je n’y suis pour rien dans