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Page:Daudet - Jack, II.djvu/71

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— Tu me trouveras au bas du chemin.

Il ajouta avec un petit sourire navré et humble :

— Ne sois pas longtemps.

— Oh ! non, mon ami, n’aie pas peur…

La voiture était déjà loin, presque à la grille, qu’il la regardait encore. Cinq minutes après, appuyé à une haie du parc et guettant, il aperçut sa maîtresse au bras d’un grand monsieur, mince, élégant, encore droit, bien que sa démarche raide le fît deviner d’un certain âge. Quand le couple disparut, d’Argenton eut l’impression d’un vide immense, et le coup de jupe de Charlotte, qui tournait une allée, lui parut ironique, irritant, comme si de loin il en avait senti l’élan ainsi qu’un soufflet sur la figure.

Alors commença pour lui une angoisse terrible… Qu’est-ce qu’ils se disaient là-dedans ?… La reverrait-il jamais ?… Et c’était cet affreux gamin qui lui valait cette torture humiliante !

Assis sur la marche usée d’une petite porte qui fermait à une de ses extrémités le grand parc où Charlotte venait de disparaître, le poëte attendait fébrilement, à tout moment tourné vers la grille, et regardant au rond-point de l’entrée la voiture stationnaire, le cocher immobile, enveloppé d’un long carrick. Autour de lui se déroulait un paysage admirable fait pour calmer l’agitation la plus douloureuse ; des pentes de vignes riches et régulières, des coteaux boisés, des pâturages plantés de saules, traversés de ruis-