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Page:Daudet - Jack, II.djvu/90

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nolent auquel le père Roudic aurait fini par succomber :

— Vous devez avoir grand’soif depuis le temps que vous parlez, lui dit l’ajusteur très-naïvement ; et il fit apporter un pichet de maître cidre avec une galette de blé noir que Zénaïde avait préparée pour le goûter. Et ma foi ! elle avait si bonne mine, cette galette, la croûte en était si appétissante, si dorée, que le poëte atteint, comme on sait, de boulimie, se laissa tenter et lui fit une brèche épouvantable qui rappelait par ses dimensions celle que le couteau de Bélisaire avait creusée jadis dans le jambon des Aulnettes.

Du long discours qu’il venait d’entendre, Jack n’avait retenu qu’une chose, c’est que d’Argenton avait fait un grand voyage pour apporter à Indret l’argent qui devait lui épargner la honte d’aller s’asseoir sur le banc des criminels. Le poëte, en effet, ne s’était pas privé, pour sa scène solennelle, de tirer parti des billets de banque contenus dans son portefeuille ; plusieurs fois il avait dit en frappant sur sa poche : « J’apportais l’argent… » Et l’enfant, s’imaginant de bonne foi que d’Argenton avait pris six mille francs sur son avoir tout exprès pour le sauver, commençait à croire qu’il s’était trompé sur le compte de ce personnage antipathique, et que sa froideur, sa répulsion n’étaient qu’apparentes. Jamais il n’avait été si respectueux, si affectueux pour « l’Ennemi, » qui, stupéfait de son côté, ne reconnaissant plus le cheval rétif, se faisait