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Page:Daudet - Jack, II.djvu/93

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trement glacée, aiguë et pénétrante que la pluie qui tombait en ce moment, autrement sombre que la nuit qui commençait à envelopper le paysage.

Or, tandis qu’ils se promenaient de long en large sur la levée, il y avait là-bas, de l’autre côté du fleuve, une femme qui, s’ennuyant d’attendre dans sa chambre d’auberge, était venue sur le quai guetter la barque du passeur d’où allait descendre tout à l’heure cet affreux petit criminel, son enfant bien-aimé qu’elle n’avait pas vu depuis deux ans. Mais d’Argenton le tenait maintenant, son prétexte. Dans les dispositions mauvaises où se trouvait ce garçon-là, la vue de sa mère ne pourrait que l’affadir, lui enlever son restant de courage… Il était plus prudent qu’il ne la vît pas… Charlotte serait assez raisonnable pour le comprendre et faire ce sacrifice à l’intérêt de son fils. « La vie n’est pas un roman, que diable !… »

Et c’est ainsi que, bien que séparés seulement par la largeur du fleuve, si près l’un de l’autre qu’en s’appelant un peu fort ils auraient pu s’entendre, Jack et sa mère ne se virent pas ce soir-là ni de longtemps encore.