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Page:Daudet - La Belle-Nivernaise, 1886.djvu/205

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marquise, des fleurs plein l’antichambre, et tout de suite le salon, un salon vert très éclairé, que je revois si bien…

Comment je montai le perron, comment j’entrai, comment je me présentai, je l’ignore. Un domestique annonça mon nom, mais ce nom, bredouillé d’ailleurs, ne produisit aucun effet sur l’assemblée. Je me rappelle seulement une voix de femme qui disait :

« — Tant mieux, un danseur ! » Il paraît qu’on en manquait. Quelle entrée pour un lyrique !

Terrifié, humilié, je me dissimulai dans la foule. Dire mon effarement !… Au bout d’un instant, autre aventure : mon étrange habit, mes longs cheveux, mon œil boudeur et sombre provoquaient la curiosité publique. J’entendais chuchoter autour de moi « Qui est-ce ?… regardez donc… » et l’on riait. Enfin quelqu’un dit : « C’est le prince valaque ! — Le prince valaque ?… ah ! oui, très bien… » Il faut croire que, ce soir-là, on attendait un prince valaque. J’étais classé, on me laissa tranquille. Mais c’est égal, vous ne sauriez croire combien, pendant toute la soirée, ma couronne usurpée me pesa. D’abord danseur, puis prince valaque. Ces gens-là ne voyaient donc pas ma lyre ?

Enfin, les quadrilles commencèrent. Je dansai, il le fallut ! Je dansai même assez mal, pour un prince valaque. Le quadrille fini, je m’immobilisai, sottement