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Page:Daudet - La doulou (la douleur) 1887 - 1895 ; Le trésor d’Arlatan (1897), 1930.djvu/29

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La Doulou est restée trente ans dans les archives de Madame Alphonse Daudet. La veuve et la collaboratrice du maître hésitait toujours à livrer au public ce terrible témoignage d’un homme clairvoyant entre tous, qui avait étudié sa propre souffrance avec la même pitié lucide qu’il accordait aux souffrances d’autrui, dans son œuvre comme dans la vie.

Si Alphonse Daudet avait connu avant de mourir ce qu’il avait pu redouter, si sa mort avait été précédée de toutes les horreurs de l’amoindrissement intellectuel et qu’il eût fallu faire le silence sur ses derniers jours, la Doulou eût été impossible à publier, apparaissant comme l’antichambre tragique de cet in pace auquel il fait allusion. Mais il est mort foudroyé, plus maître que jamais de son génie, de sa rayonnante individualité, de son expérience incomparable et la Doulou n’est plus qu’une des preuves — la plus triste, mais peut-être la plus féconde — de cette expérience.

Le temps, à mesure qu’il s’éloigne, laisse dans la pénombre ce qu’il éclairait cruellement et projette sa lumière sur ce qu’on ne pouvait pas voir jadis.

Aujourd’hui, les cris de douleur qui s’élevaient de ces pages sont devenus des « communiqués » de défaites physiques, de victoires morales, échos immortels d’une voix qui dit : « Vous tous qui souffrez, faites de votre souffrance un motif d’élévation ; utilisez votre mal pour oublier votre mal, pour devenir bons, pour devenir meilleurs ; pensez à moi qui, en plein bonheur, en pleine gloire, me suis vu brusquement condamné à mort, et n’ai plus songé qu’a étudier ma souffrance pour la laisser en exemple à mes sosies en douleur ».