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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/145

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étaient autre chose que des façons de parler, à l’usage des poètes, je vous jure qu’on aurait pu trouver derrière moi, sur la plaine blanche, une longue trace de sang.

Je me sentais perdu. Où trouver de l’argent ? Comment m’en aller ? Comment rejoindre mon frère Jacques ? Dénoncer Roger ne m’aurait même servi de rien… Il pouvait nier, maintenant que Cécilia était partie.

Enfin, accablé, épuisé de fatigue et de douleur, je me laissai tomber dans la neige au pied d’un châtaignier. Je serais resté là jusqu’au lendemain peut-être, pleurant et n’ayant pas la force de penser, quand tout à coup, bien loin, du côté de Sarlande, j’entendis une cloche sonner. C’était la cloche du collège. J’avais tout oublié ; cette cloche me rappela à la vie : il me fallait rentrer et surveiller la récréation des élèves dans la salle… En pensant à la salle, une idée subite me vint. Sur-le-champ mes larmes s’arrêtèrent ; je me sentis plus fort, plus calme. Je me levai, et, de ce pas délibéré de l’homme qui vient de prendre une irrévocable décision, je repris le chemin de Sarlande.

Maintenant, si vous voulez savoir quelle irrévocable décision vient de prendre le petit Chose, suivez-le jusqu’à Sarlande, à travers cette grande plaine blanche ; suivez-le dans les rues sombres et boueuses de la ville ; suivez-le sous le porche du collège ; suivez-le dans la salle pendant la récréation, et remarquez avec quelle singulière persistance il regarde le gros anneau de fer qui se