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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/156

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Je crus qu’ils allaient me sauter à la gorge.

— Et mon argent ? dit M. Barbette.

— Et le mien ? hurla M, Cassagne.

Sans répondre, j’entrai dans la loge, et tirant gravement, à pleines mains, les belles pièces d’or de l’abbé Germane, je me mis à leur compter sur le bout de la table ce que je leur devais à tous les deux.

Ce fut un coup de théâtre ! Les deux figures renfrognées se déridèrent, comme par magie… Quand ils eurent empoché leur argent, un peu honteux des craintes qu’ils m’avaient montrées, et tout joyeux d’être payés, ils s’épanchèrent en compliments de condoléances et en protestations d’amitié :

— Vraiment monsieur Eyssette, vous nous quittez ?… Oh ! quel dommage ! Quelle perte pour la maison !

Et puis des oh ! des ah ! des hélas ! des soupirs, des poignées de main, des larmes étouffées…

La veille encore, j’aurais pu me laisser prendre à ces dehors d’amitié ; mais maintenant j’étais ferré à glace sur les questions de sentiment.

Le quart d’heure passé sous la tonnelle m’avait appris à connaître les hommes, — du moins je le croyais ainsi, — et plus ces affreux gargotiers se montraient affables, plus ils m’inspiraient de dégoût. Aussi, coupant court à leurs effusions ridicules, je sortis du collège et m’en allai bien vite retenir ma place à la bienheureuse diligence qui devait m’emporter loin de tous ces monstres.

En revenant du bureau des messageries, je passai