Aller au contenu

Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

échelle double. Quant à l’éditeur, invisible… Chaque soir, je revenais à la maison, triste, las, énervé. « Courage, me disait Jacques, tu seras plus heureux demain. » Et, le lendemain, je me remettais en campagne armé de mon manuscrit ! De jour en jour, je le sentais devenir plus pesant, plus incommode. D’abord je le portais sous mon bras, fièrement, comme un parapluie neuf ; mais à la fin j’en avais honte et je le mettais dans ma poitrine avec ma redingote soigneusement boutonnée par dessus.

Huit jours se passèrent ainsi. Le dimanche arriva. Jacques, selon sa coutume, alla dîner chez Pierrotte ; mais il y alla seul. J’étais si las de ma chasse aux étoiles invisibles que je restai couché tout le jour… Le soir, en rentrant, il vint s’asseoir au bord de mon lit et me gronda doucement :

— Écoute, Daniel ! tu as bien tort de ne pas aller là-bas. Les yeux noirs pleurent, se désolent ; ils meurent de ne pas te voir… Nous avons parlé de toi toute la soirée. Ah ! brigand, comme elle t’aime !

La pauvre mère Jacques avait les larmes aux yeux en disant cela.

— Et Pierrotte ? demandai-je timidement. Pierrotte, qu’est-ce qu’il dit ?…

— Rien… Il a seulement paru très étonné de ne pas te voir… Il faut y aller, mon Daniel ; tu iras, n’est-ce pas ?

— Dès demain, Jacques ; je te le promets.

Pendant que nous causions, Coucou-Blanc, qui