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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/283

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nais sa négresse, c’est notre voisine Coucou-Blanc. Malgré son air féroce, Cette Coucou-Blanc est une excellente fille, tranquille, discrète dévouée ; et ne parlant jamais que par proverbe comme le bon Sancho. Quand les gens de la maison veulent lui tirer les vers du nez à propos de sa maîtresse, si elle est mariée, s’il y a un M. Borel quelque part, si elle est aussi riche qu’on le dit, Coucou-Blanc répond dans son patois : « Zaiffai cabrite pas zaffai mouton » (les affaires du chevreau ne sont pas celles du mouton) ; ou bien encore : C’est « soulié qui connaît si bas tini trou » (c’est le soulier qui connaît si les bas ont des trous). Elle en a comme cela un centaine, et les indiscrets n’ont jamais le dernier mot avec elle… À propos, sais-tu qui j’ai rencontré chez la dame du premier ? .. Le poëte hindou de la table d’hôte, le grand Baghavat lui-même. Il a l’air d’en être fort épris, et lui fait de beaux poëmes où il la compare tour à tour à un condor, un lotus ou un buffle ; mais la dame ne fait pas grand cas de ses hommages. D’ailleurs elle doit y être habituée : tous les artistes qui viennent chez elle — et je te réponds qu’il y en a des plus fameux — en sont amoureux.

« Elle est si belle, si étrangement belle !… En vérité, j’aurais craint pour mon cœur, s’il n’était déjà pris. Heureusement que les yeux noirs sont là pour me défendre. Chers yeux noirs ! j’irai passer la soirée avec eux aujourd’hui, et nous parlerons de vous tout le temps, ma mère Jacques. »

Comme le petit Chose achevait cette lettre, on