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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/301

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ne l’avais vue à cette heure-là !… Elle s’approche de moi et me dit en souriant : « Il est neuf heures ! »

« Puis tout à coup, devenant solennelle : « Mon ami, me dit-elle, je vous ai trompé. Quand nous nous sommes rencontrés, je n’étais pas libre. Il y avait un homme dans ma vie, lorsque vous y êtes entré ; un homme à qui je dois mon luxe, mes loisirs, tout ce que j’ai. »

« Je te le disais bien, Jacques, qu’il y avait quelque infamie sous ce mystère.

« … Du jour où je vous ai connu, cette liaison m’est devenue odieuse… Si je ne vous en ai pas parlé, c’est que je vous connaissais trop fier pour consentir à me partager avec un autre. Si je ne l’ai pas brisée, c’est parce qu’il m’en coûtait de renoncer à cette existence indolente et luxueuse pour laquelle je suis née… Aujourd’hui, je ne peux plus vivre ainsi. Ce mensonge me pèse, cette trahison de tous les jours me rend folle…. Et si vous voulez encore de moi après l’aveu que je viens de vous faire je suis prête à tout quitter et à vivre avec vous dans un coin, où vous voudrez… »

« Ces derniers mots « où vous voudrez » furent dits à voix basse ; tout près de moi, presque sur mes lèvres, pour me griser…

« J’eus pourtant le courage de lui répondre, et même très sèchement, que j’étais pauvre, que je ne gagnais pas ma vie, et que je ne pouvais pas la faire nourrir par mon frère Jacques.