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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/308

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Irma Borel qui répétait ses rôles, et Coucou-Blanc qui chantait sans cesse :

Tolocototignan ! Tolocototignan !

Pouah ! l’horrible maison ! je la vois maintenant, je la vois avec ses mille fenêtres, sa rampe verte et poisseuse, ses plombs béants, ses portes numérotées, ses longs corridors blancs qui sentaient la peinture fraîche… toute neuve, et déjà salie !… Il y avait cent huit chambres là-dedans ; dans chaque chambre, un ménage !… Et quels ménages !… Tout le jour, c’étaient des scènes, des cris, du fracas, des tueries ; la nuit des piaillements d’enfants, des pieds nus marchant sur le carreau, puis le balancement uniforme et lourd des berceaux. De temps en temps, pour varier, des visites de la police.

C’est là, c’est dans cet antre garni à sept étages qu’Irma Borel et le petit Chose étaient venus abriter leur amour… Triste logis et bien fait pour un pareil hôte !… Ils l’avaient choisi parce que c’était près de leur théâtre ; et puis, comme dans toutes les maisons neuves, ils ne payaient pas cher. Pour quarante francs, — un prix d’essuyeur de plâtre, — ils avaient deux chambres au second étage, avec un liseré de balcon sur le boulevard, le plus bel appartement de l’hôtel… Ils rentraient tous les soirs vers minuit, à la fin du spectacle. C’était sinistre de revenir par ces grandes avenues désertes, où rôdaient des blouses silencieuses, des