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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/317

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prunter quatre cents francs qui, joints aux neuf cents de la Comédie pastorale, portaient la dette de Jacques jusqu’à treize cents francs.

Pauvre mère Jacques ! Que de désastres l’attendaient à son retour ! Daniel disparu, les yeux noirs en larmes, pas un volume vendu et treize cents francs à payer. Comment se tirerait-il de là ?… La créole ne s’inquiétait guère, elle. Mais lui, le petit Chose, cette pensée ne le quittait pas. C’était une obsession, une angoisse perpétuelle. Il avait beau chercher à s’étourdir, travailler comme un forçat (et de quel travail, juste Dieu !), apprendre de nouvelles bouffonneries, étudier devant le miroir de nouvelles grimaces, toujours le miroir lui renvoyait l’image de Jacques au lieu de la sienne ; entre les lignes de son rôle, au lieu de Langlumeau, de Josias et autres personnages de vaudeville, il ne voyait que le nom de Jacques ; Jacques, Jacques, toujours Jacques !

Chaque matin, il regardait le calendrier avec terreur et, comptant les jours qui le séparaient de la première échéance des billets, il se disait en frissonnant : « Plus qu’un mois… plus que trois semaines ! » Car il savait bien qu’au premier billet protesté tout serait découvert, et que le martyre de son frère commencerait dès ce jour-là. Jusque dans son sommeil cette idée le poursuivait. Quelquefois il se réveillait en sursaut, le cœur serré, le visage inondé de larmes, avec le souvenir confus d’un rêve terrible et singulier qu’il venait d’avoir.

Ce rêve, toujours le même, revenait presque