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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/326

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affermissant sa voix, je viens vous demander un grand service. Prêtez-moi quinze cents francs.

Pierrotte, sans répondre, ouvrit sa caisse, remua quelques écus ; puis, repoussant le tiroir, il se leva tranquillement.

« Je ne les ai pas ici, monsieur Jacques. Attendez-moi, je vais les chercher là-haut. » Avant de sortir, il ajouta d’un air contraint : « Je ne vous dis pas de monter ; cela lui ferait trop de peine. »

Jacques soupira. « Vous avez raison, Pierrotte ; il vaut mieux que je ne monte pas. »

Au bout de cinq minutes, le Cévenol revint avec deux billet de mille francs qu’il lui mit dans la main. Jacques ne voulait pas les prendre : « Je n’ai besoin que de quinze cents francs, » disait-il. Mais le Cévenol insista :

« Je vous en prie, monsieur Jacques, gardez tout. Je tiens à ce chiffre de deux mille francs. C’est ce que mademoiselle m’a prêté dans le temps pour m’acheter un homme. Si vous me refusiez, c’est bien le cas de le dire, je vous en voudrais mortellement. »

Jacques n’osa pas refuser ; il mit l’argent dans sa poche, et, tendant la main au Cévenol, il lui dit très simplement : « Adieu, Pierrotte, et merci ! » Pierrotte lui retint la main.

Ils restèrent quelque temps ainsi, émus et silencieux, en face l’un de l’autre. Tous les deux, ils avaient le nom de Daniel sur les lèvres, mais ils n’osaient pas le prononcer, par une même délicatesse… Ce père et cette mère se comprenaient si