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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/362

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rouages fins comme des cheveux de fée, se réveille et se met en branle ; d’abord lentement, puis un peu plus vite, puis avec une rapidité folle, — tic ! tic ! tic ! — à croire que tout va se casser. On sent que cette jolie machine n’est pas faite pour dormir et qu’elle veut réparer le temps perdu… Tic ! tic ! tic !… Les idées se croisent, s’enchevêtrent comme des fils de soie : « Où suis-je, mon Dieu ?… Qu’est-ce que c’est que ce grand lit ?… Et ces trois dames, là-bas, près de la fenêtre, qu’est-ce qu’elles font ?… Cette petite robe noire qui me tourne le dos, est-ce que je ne la connais pas ?… On dirait que… »

Et pour mieux regarder cette robe noire qu’il croit reconnaître, péniblement le petit Chose se soulève sur son coude et se penche hors du lit, puis tout de suite se jette en arrière, épouvanté… Là, devant lui ; au milieu de la chambre, il vient d’apercevoir une armoire en noyer avec de vieilles ferrures qui grimpent sur le devant. Cette armoire, il la reconnaît ; il l’a vue déjà dans un rêve, dans un horrible rêve… Tic ! tic ! tic ! La machine à penser va comme le vent.. Oh ! maintenant le petit Chose se rappelle. L’hôtel Pilois, la mort de Jacques, l’enterrement, l’arrivée chez Pierrotte dans la pluie, il revoit tout, il se souvient de tout. Hélas ! en renaissant à la vie, le malheureux enfant vient de renaître à la douleur ; et sa première parole est un gémissement…

À ce gémissement, les trois femmes qui travaillaient là-bas, près de la fenêtre, ont tressailli. Une