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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/45

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Cette année-là, le petit Chose achevait sa philosophie.

C’était, si j’ai bonne mémoire, un jeune garçon très prétentieux, se prenant tout à fait au sérieux comme philosophe et aussi comme poète ; du reste pas plus haut qu’une botte et sans un poil de barbe au menton.

Or, un matin que ce grand philosophe de petit Chose se disposait à aller en classe, M. Eyssette père l’appela dans le magasin et, sitôt qu’il le vit entrer, lui fit de sa voix brutale :

— Daniel, jette tes livres, tu ne vas plus au collège.

Ayant dit cela, M. Eyssette père se mit à marcher à grands pas dans le magasin, sans parler. Il paraissait très ému, et le petit Chose aussi, je vous assure… Après un long moment de silence, M. Eyssette père reprit la parole :

— Daniel, mon garçon, dit-il, j’ai une mauvaise nouvelle à t’apprendre, oh bien mauvaise… nous allons être obligés de nous séparer tous, voici pourquoi. »

Ici, un grand sanglot, un sanglot déchirant retentit derrière la porte entrebâillée.

— Jacques, tu es un âne ! » cria M. Eyssette sans se retourner, puis il continua :

— Quand nous sommes venus à Lyon, il y a six ans, ruinés par les révolutionnaires, j’espérais, à force de travail, arriver à reconstruire notre fortune ; mais le démon s’en mêle ! Je n’ai réussi qu’à nous enfoncer jusqu’au cou dans les dettes et dans