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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/62

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ries, un point lumineux brilla, venant à ma rencontre… Je fis encore quelques pas ; la lumière grandit, s’approcha de moi, passa à mes côtés, s’éloigna, disparut. Ce fut comme une vision ; mais, si rapide qu’elle eût été, je pus en saisir les moindres détails.

Figurez-vous deux femmes, non, deux ombres… L’une vieille, ridée, ratatinée, pliée en deux, avec d’énormes lunettes qui lui cachaient la moitié du visage ; l’autre, jeune, svelte, un peu grêle comme tous les fantômes, mais ayant — ce que les fantômes n’ont pas en général — une paire d’yeux, très grands et si noirs, si noirs… La vieille tenait à la main une petite lampe de cuivre ; les yeux noirs, eux, ne portaient rien… Les deux ombres passèrent près de moi, rapides, silencieuses, sans me voir, et depuis longtemps elles avaient disparu que j’étais encore debout, à la même place, sous une double impression de charme et de terreur.

Je repris ma route à tâtons, mais le cœur me battait bien fort, et j’avais toujours devant moi, dans l’ombre, l’horrible fée aux lunettes marchant à côté des yeux noirs…

Il s’agissait cependant de découvrir un gîte pour la nuit ; ce n’était pas une mince affaire. Heureusement, l’homme aux moustaches, que je trouvai fumant sa pipe devant la loge du portier, se mit tout de suite à ma disposition et me proposa de me conduire dans un bon petit hôtel point trop cher, où je serais servi comme un prince. Vous pensez si j’acceptai de bon cœur…