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Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/80

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À partir de ce jour, Bamban devint mon ami. J’appris sur son compte des choses attendrissantes…

C’était le fils d’un maréchal-ferrant qui, entendant vanter partout les bienfaits de l’éducation, se saignait les quatre membres, le pauvre homme ! pour envoyer son enfant demi-pensionnaire au collège. Mais, hélas ! Bamban n’était pas fait pour le collège, et il n’y profitait guère.

Le jour de son arrivée, on lui avait donné un modèle de bâtons en lui disant : « Fais des bâtons ! » Et depuis un an, Bamban, faisait des bâtons. Et quels bâtons, grand Dieu !… tortus, sales, boiteux, clopinants, des bâtons de Bamban !…

Personne ne s’occupait de lui. Il ne faisait spécialement partie d’aucune classe ; en général, il entrait dans celle qu’il voyait ouverte. Un jour, on le trouva en train de faire ses bâtons dans la classe de philosophie… Un drôle d’élève, ce Bamban.

Je le regardais quelquefois à l’étude, courbé en deux sur son cahier, suant, soufflant, tirant la langue, tenant sa plume à pleines mains et appuyant de toutes ses forces, comme s’il eût voulu traverser la table… À chaque bâton il reprenait de l’encre, et à la fin de chaque ligne, il rentrait sa langue et se reposait en se frottant les mains.

Bamban travaillait de meilleur cœur maintenant que nous étions amis…

Quand il avait terminé une page, il s’empressait