Aller au contenu

Page:Daudet - Le Petit Chose, 1868.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

J’atteignis le Condillac sur le troisième rayon à gauche, et je me disposais à me retirer ; mais l’abbé me retint.

— Tu t’occupes donc de philosophie ? me dit-il en me regardant dans les yeux… Est-ce que tu y croirais par hasard ?… Des histoires, mon cher, de pures histoires ! Et dire qu’ils ont voulu faire de moi un professeur de philosophie ! Je vous demande un peu !… Enseigner quoi ? zéro, néant… Ils auraient pu tout aussi bien, pendant qu’ils y étaient, me nommer inspecteur général des étoiles ou contrôleur des fumées de pipe… Ah ! misère de moi ! Il faut faire parfois de singuliers métiers pour gagner sa vie… Tu en connais quelque chose, toi aussi, n’est-ce pas ?… Oh ! tu n’as pas besoin de rougir. Je sais que tu n’es pas heureux, mon pauvre petit pion, et que les enfants te font une rude existence.

Ici l’abbé Germane s’interrompit un moment. Il paraissait très en colère et secouait sa pipe sur son ongle avec fureur. Moi, d’entendre ce digne homme s’apitoyer ainsi sur mon sort, je me sentais tout ému et j’avais mis le Condillac devant mes yeux, pour dissimuler les grosses larmes dont ils étaient remplis.

Presque aussitôt l’abbé reprit

— À propos ! j’oubliais de te demander… Aimes-tu le Bon Dieu ?… Il faut l’aimer, vois-tu, mon cher, et avoir confiance en lui, et le prier ferme ; sans quoi tu ne t’en tireras jamais… Aux grandes souffrances de la vie, je ne connais que trois remèdes :