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Page:Daudet - Le drame de Jules Soury, paru dans L'Action française, 02-02-1939.djvu/5

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C’est pourtant là, dans les profondeurs de l’abîme, qu’est le salut pour l’homme ; c’est là qu’il se repose enfin, dans l’inconscience, et non dans le sommeil dont parle Hamlet, des rêves cruels de l’existence. S’il est incompréhensible que l’univers ait une origine et une fin, au moins la conscience individuelle, sans avoir plus de raison d’être, commence et finit, et la mort elle-même est la seule revanche assurée que nous puissions saisir contre l’horrible destin qui, au cours de l’évolution d’une planète, fait apparaître, pour les détruire, ces milliers de faunes et de flores dont la production n’a certes pas eu plus de raison que la destruction.

Cette lutte pour la vie, inutile carnage qui de cette Terre fait un charnier, ne nous semblerait pas seulement, si c’était œuvre humaine, d’une hideuse cruauté : elle nous paraîtrait bête, au sens où la Mort, dans la Tentation de saint Antoine, parle de la « bêtise du soleil ». Pris dans sa masse et dans son éternité, l’univers est certainement moins intelligent que le dernier des protozoaires. C’est qu’il ne souffre pas. Toute vie psychique, toute vie de l’esprit et de l’âme, a grandi dans la souffrance : elle n’est délivrée de la douleur que par la mort.

Ces pensées sont extrêmement voisines de celles de Schopenhauer, dont M. Thomas Mann vient de nous donner (éditions Corréa) une remarquable traduction. Elles oscillent, « comme un pendule, de l’ennui à la douleur ». Mais il y a l’amour, sous toutes ses formes et comme dit Termier, la joie de connaître. Cela fait déjà un petit ensemble fort présentable.

Léon DAUDET.
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