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Page:David - Les Patriotes de 1837-1838, 1884.djvu/51

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fut inutile. Un dimanche après-midi, le 3 décembre, M. Turcotte, curé de Sainte-Rose, qui allait d’un camp à l’autre, apporta à M. Paquin la nouvelle que les patriotes avaient été battus à Saint-Charles. Croyant que cette nouvelle aurait l’effet désiré, M. l’abbé Turcotte et le curé de Saint-Eustache firent mander le Dr Chénier au presbytère, lui racontèrent ce qu’ils savaient et tâchèrent de le convaincre que tout était perdu. M. W. Scott, M. Neil Scott et M. Éméry Féré, qui étaient présents, joignirent leurs instances à celle des trois prêtres, pour le décider à écouter les conseils qu’on lui donnait. Chénier répondit que les nouvelles apportées par M. Turcotte étaient fausses. « Dans tous les cas, dit-il, je suis décidé à mourir les armes à la main, plutôt que de me rendre. La crainte de la mort ne changera pas ma résolution. Autant vaudrait essayer de calmer la mer en fureur que de m’arrêter. »

M. Paquin rapporte, néanmoins, que plusieurs fois, pendant la conversation, Chénier parut ému, qu’on vit même des larmes couler sur ses joues.

Plus le moment fatal approchait, plus Chénier devenait grave et pensif. Il était brave, il ne craignait pas la mort, mais la bravoure ne détruit pas le sentiment ; au contraire, les soldats les plus intrépides sont souvent les hommes les plus sensibles. Or, Chénier avait une femme et un enfant que sa mort devait laisser sans ressources. À trente-et-un ans, dans toute la sève et la force de la jeunesse, on ne songe pas sans tristesse à quitter la vie, à se séparer de ceux qu’on aime. Il n’y a pas de doute qu’il pensait aussi au sort des braves qui le suivaient. Il savait que la victoire coûterait cher et que la défaite serait la ruine et la mort d’un grand nombre de ses compatriotes. Mais le Dr Chénier avait résolu, comme Nelson, de ne pas se laisser arrêter sans résistance, et le succès des patriotes de Saint-Denis avait naturellement affermi sa résolu-