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Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/42

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Accablée, Malcie le quitta quelques minutes plus tard.

En bas, dans la rue, Fulbert trouvait le temps long.

Lorsqu’il vit sortir sa maîtresse, lorsqu’il l’aperçut pâle, marchant lentement, l’air soucieux, il se dit :

« — D’où vient-elle, mais d’où vient-elle, pour qu’elle soit ainsi bouleversée ? Pourvu qu’il n’en retourne pas quelque, histoire ».

Les oreilles du capitaine Jean chauffèrent lorsqu’il entendit que la sortie avait eu encore pour but la rue Notre-Dame-des-Champs.

« — Trois dans une semaine, se dit-il. Il faut croire qu’elle y trouve du plaisir. J’irai moi-même explorer cet immeuble ».

Pendant l’heure qui les rapprocha, Jean n’eut pas de peine à trouver à sa femme une mine bouleversée.

Habituée à communiquer toutes ses pensées, Malcie souffrait de l’idée torturante qui lui comprimait le cerveau et paralysait ses élans.

Elle ne savait pas se déguiser.

Lorsqu’elle se retrouva devant sa mère, elle crut défaillir.

La même lutte que là-bas s’engagea.

Était-ce possible ?

Elle n’osait ni y penser, ni approfondir la situation.

Pourrait-on vivre, sourire, se montrer heureuse avec un tel remords au cœur ?

Ce jour-là, Malcie parla peu.

À tous ceux qui s’adressaient à elle ses réponses étaient brèves.

Son entrain avait disparu.

Elle ne pouvait pas se surmonter.

Plus que tout autre, Jean l’observait.

À la moindre question directe, le visage de Malcie se bouleversait ; qu’est-ce que cela signifiait ?

— Sortez-vous cet après-midi ? demanda Mme d’Hallon.

— Non. Je suis un peu souffrante. J’ai besoin de repos. Et vous, ma mère ?

— Moi ? Je vais à Bois-Colombe, chez les Santoire. Je serai là à cinq heures.

…À propos avez-vous casé vos tableaux ? Vous ne m’en avez pas parlé depuis l’autre jour.

Comme si Malcie avait été prise en flagrant délit, elle devint pourpre.

On aurait dit que la faute, dont la pensée ne la quittait pas, lui était personnelle.

Jean la regardait en fumant.

— De quels tableaux parlez-vous ? Je ne suis pas au courant.

— Oh ! répondit-elle sans pouvoir maîtriser un tremblement dans la voix, ce sont des paysages que j’aurais voulu placer pour tirer d’embarras.

Elle toussota et acheva avec difficulté :

— …un jeune homme sans ressources. Ce n’est pas aussi facile que je pensais…

— Je crois bien, riposta Mme d’Hallon. Si vous vous imaginez que tout le monde est aussi naïf que vous. Les œuvres pullulent, ma chère. On est bien obligé de refuser quelquefois, à moins de se mettre sur la paille.

Malcie se tut.

Ces paroles froides, sèches, égoïstes, tombèrent sur son cœur comme un bloc de marbre.

C’étaient les œuvres de l’enfant de sa mère, de son frère, à elle, dont elle était la placeuse !…

Jean veillait toujours.

— Si vous m’aviez initié à vos secrets, je serais peut-être devenu un bon aide, Malcie.

Son sourire était forcé.

— Des secrets ? Croyez-vous que j’aie des secrets ?

— Il faut le croire, puisque c’est la première fois que j’entends parler de tableaux et aussi de peintre.

Si, jadis, elle communiquait toutes ses pensées, le pouvait-elle maintenant ?

Pouvait-elle dire à Jean, qu’il était entré dans une famille où il y avait une tare ?