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Il voulait écouter.

Il ricana.

Elle a du goût ! La garçonnière ne manque pas de charme. L’hôtel de la rue d’Aguesseau est loin d’en posséder autant !

Il monte une marche puis une autre.

Il y est.

Entrer tout de suite ? brusquement ?

Non.

Il veut, lui aussi, la jouer habilement, la comédie qui est sur le point de devenir un drame !…

C’est son plan. Il en sera ce que suggérera son imagination en délire, son désir violent de vengeance. Dans ces heures de révolte, ce n’est plus la raison qui guide : les événements dépendent de l’instinct.

Sur le palier, Jean glisse à droite de la porte.

Il sort de sa poche le tube en maroquin noir, y prend le revolver chargé, et là, les oreilles bourdonnantes, le visage sanguin. il pencha la tête,

 

Malcie a trouvé Roger à ses pinceaux.

Tous deux se sont installés pour une longue conversation.

— Je vous attendais. J’avais le pressentiment de votre visite.

— Vraiment ?

— J’aurais voulu venir plutôt. Impossible. Vous comprenez, n’est-ce pas, que j’ai des ménagements à prendre. Ma mère ne doit se douter de rien, du moins pour le moment. Quant à mon mari, je ne tiens pas non plus à ce qu’il sache.

…J’ai réfléchi beaucoup. Je compte sur le temps.

…La situation est délicate. Elle ne demande pas de brusquerie.

— Vous êtes un ange, balbutia Roger.

— Non. Je voudrais simplement que tout le monde fut heureux.

— Chère créature ! cher trésor de vaillance. Vous vous glorifiez du bien que vous me faites.

— Aujourd’hui, mon plus grand désir est de vous voir arriver.

…Il faut que vous vous fassiez un nom. Vous le savez, le monde est imbu de sots préjugés. Pour lui, et quoi que vous fassiez — pardonnez-moi ma brusque franchise — quoi que vous fassiez aujourd’hui, il vous tiendra un peu à distance parce que vous n’avez pas de nom… Faites-vous en un. Devant le talent et devant l’or, rien ne résiste.

…Ceux qui vous auront tourné le dos accourront… Lorsque vous aurez signé une œuvre, une œuvre, vous entendez, chacun vous exaltera. Ce sera à qui souhaitera vous connaître et être quelque chose dans votre vie.

Elle l’exaltait par son raisonnement juste, droit et profond.

Il affirma :

— J’y arriverai.

— Je l’espère. Seulement, vous n’y arriverez pas en un jour. La vie est la vie avec ses luttes et aussi ses exigences quotidiennes… Je ne veux pas que vous souffriez.

Il se redressa, rayonnant d’énergie et de jeunesse.

— Moi, souffrir ? Ne craignez rien. Peu me suffit.

Il continua, une flamme d’espérance dans les yeux.

— Du reste, maintenant, je vais sortir de ma coquille. Je vous dit que je suis un nouvel homme… J’offrirai mes tableaux, je les vendrai, j’entreprendrai mille choses que je n’ai jamais faites.

…Voulez-vous encore que je vous rassure ?

…Je suis moins pauvre qu’il y a huit jours ; j’ai eu des aubaines.

Elle détourna les yeux pendant qu’il continuait :

— Mon loyer est payé pour un semestre.

— N’importe, dit-elle, très simplement, nous allons partager mon argent de poche.

— Je ne le souffrirai jamais.

— Et moi, je ne souffrirai pas que vous refusiez. Expliquons-nous clairement. De deux choses l’une ou nous sommes indiffé-