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Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/5

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C’était la première fois que cette pensée lui venait depuis leur union.

Ce fut une horrible souffrance.

Son Jean !…

Oh ! ça n’était pas possible.

Il n’y avait pas mari meilleur, plus attentionné, plus délicat que Jean d’Anicet.

L’homme peut-il mener deux amours de front ?

La griffe du doute s’était appesantie sur le cœur troublé.

Le bonheur complet, sans nuages, avait fui à jamais,

Elle rejoignit ses enfants un pli au front, une inquiétude dans le regard, une angoisse dans l’âme.

Ses phrases, en s’adressant à la plantureuse Bretonne, se teintèrent de mélancolie, ses grands yeux bleus scrutèrent autour d’elle.

Celui qui, plusieurs fois, l’avait suivie, était peut-être non loin.

Elle se retourna.

Folie !

Personne ne l’observait, dans cette foule rieuse, toute aux ébats des petits et à leurs manèges innocents.

Ce jour-là la promenade lui parut longue, morne.

Il lui semblait que chacun lisait en elle sa torture.

Dix fois, elle voulut revenir sur ses pas, rentrer chez elle.

Il ne fallait pas éveiller l’attention de celle qui l’accompagnait. Elle resta.

Le soir, deux pensées obsédantes, se combattant l’une l’autre, la harcelèrent sans répit.

Elle voulut connaître ce roman !

Oui, elle voulait savoir si l’idée torturante, cause d’un si grand choc, était un pressentiment.

Et alors elle décida de répondre, sinon avec des mots, du moins par l’acte en apparence insignifiant que proposait l’inconnu.

Puis, tout à coup, anxieuse, troublée, la décision flotta, ne s’implanta pas.

Malcie avait huit jours pour réfléchir.

Elle les prendrait.

Ils s’écoulèrent vite, ces huit jours, malgré la série d’heures pénibles où tout devint sujet de suspicion sous l’idée importune.

Elle observait Jean… l’étudiait.

Mais non, le cœur de son mari lui appartenait tout entier.

Se montrerait-il gai, heureux comme il le faisait ? fredonnerait-il du matin au soir les refrains du mess ? Jouerait-il avec sa fille comme un enfant ? Pelotonné sur le tapis en des pauses comiques, ferait-il « cache-cache » avec son fils, le descendant des d’Anicet, race de braves et de héros, si une passion formait la moitié de sa vie.

Aussi, par moments, Malcie s’en voulait.

Elle chassait l’affreuse pensée comme une honte.

Si Jean savait !

Par la même voie que la première, une seconde lettre arriva.

Elle ne contenait que ces mots :


« Madame,

« Si, mercredi prochain, dans trois jours, je n’ai rien à retirer au bureau indiqué, j’aurai l’honneur de me présenter à votre hôtel, mercredi soir entre quatre et cinq heures.

« Peut-être serait-il préférable que vous consentiez à apprendre… hors de chez vous. Si, au contraire, je trouve au bureau restant l’enveloppe aux initiales convenues, vous pourrez y retirer le lendemain dussé-je passer la nuit à l’écrire, un récit qui vous renseignera.

« Je vous l’enverrai à l’adresse E. T.

« Votre serviteur,
« R ».

Malcie crut défaillir.

Décidément cet homme voulait qu’elle sût !

Mais quoi, grand Dieu…

Est-ce que dans sa famille l’honneur n’était pas intact !