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Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/63

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— Oui, madame. Il y a quelque temps que je n’ai pas vu Maurice. Je viens lui demander le motif de cette abstention.

— Y a-t-il vraiment longtemps que vous vous êtes rencontrés ? J’en suis surprise.

— Moi aussi, opina le jeune homme, gaîment.

Son regard tomba sur Berthe.

Mon Dieu qu’elle était pâle !

Serait-elle souffrante ?

Une idée, comme un éclair, lui traversa le cerveau : peut-être avaient-ils appris ?… peut-être que, ce qu’il croyait très secret resté entre les murs de l’atelier, s’était-il ébruité !… avec une fanfare d’histoire scandaleuse !…

Roger éprouva une douleur intense et de nouveau regarda la jeune fille.

Pouvait-il interroger ?

Une hésitation.

Rêveur, il demanda :

— Maurice est-il ici ?

— Mais oui. Il a dû vous entendre… Il va venir. Je le crois à sa toilette, renseigna Mme Méen. Il doit être à ses rasoirs.

— Dans ce cas, donnons-lui le temps. Pas de maladresse. Un garçon avec une balafre n’est plus un joli garçon…

Sous la plaisanterie, l’effort se sentait. Oh ! qu’il aurait voulu savoir ce qui assombrissait le front de Berthe, ce qui lui faisait détourner les yeux lorsqu’ils rencontraient les siens.

D’habitude, ils brillaient de joie et de bonheur ces jolis yeux, lorsque Roger la regardait. Leur flamme traduisait tout un langage d’amour.

Aujourd’hui, elle n’osait même pas lever sur lui son regard.

— Vous vous intéressez tellement à moi, madame, dit le jeune homme, et vous m’avez toujours témoigné une telle sympathie, que je viens vous communiquer l’aubaine que j’ai eue depuis ma dernière visite.

— Tant mieux, monsieur Roger, tant mieux !

— Je crois que cette bonne occasion ne sera pas la dernière.

— Contez-nous cela.

— J’ai vendu des tableaux. Me voici en relations avec un richissime Américain qui m’a donné mille francs de deux peintures.

— Mille francs ?

— Tout ronds.

— C’est fort beau. Comment l’avez-vous connu ?

Berthe se taisait.

— Il m’a été envoyé par un de nos maîtres que Maurice connaît peut-être. Bref, William Vanderbook m’a laissé son adresse. Il doit me pistonner dans son pays. J’ai commencé une œuvre. L’exposerai-je au Salon, l’an prochain, ou l’expédierais-je à New-York ? Je ne sais pas encore.

— Vous avez le temps d’y penser.

— Oui, et je ferai en sorte d’opter pour la meilleure part.

— Je suis très heureuse, monsieur Roger. Vous allez voir que tout va marcher maintenant comme sur des roulettes… Les débuts sont toujours difficiles, mais lorsqu’on a un débouché, les affaires vont toutes seules. Vous l’avez le débouché.

La jolie prunelle de Berthe s’éleva reconnaissante sur sa mère.

Ces paroles là ne pouvaient pas être des paroles banales, comme on en dit dans les salons, de ces jolies phrases qui font plaisir à ceux à qui elles s’adressent et qui n’engagent à rien ceux qui les prononcent.

Mme Méen parlait de cœur.

N’avait-elle pas montré maintes et maintes fois l’intérêt qu’elle portait à l’ami de son fils ?

Sa cause n’était pas perdue.

Le visage de Berthe se rasséréna.

Elle tenterait une explication.

Elle irait de son aveu.

La porte s’ouvrit et Maurice, tout heureux, rasé de frais, entra en coup de vent.

— Très aimable à toi d’être venu.

— Je commençais de trouver le temps long.

— Mon cher Roger, il y a huit jours que je veux aller chez toi, mais tu sais.