Aller au contenu

Page:De Bachaumont - Mémoires secrets Tome 1 - 1762-1765 - Ravenel - Ed. Brissot-Thivars - 1830.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
NOVEMBRE 1762

mettre les professeurs à profiter des bons livres écrits sur cette matière, à choisir les plus orthodoxes et les plus lumineux, et à les expliquer à leurs disciples, au lieu de perdre un temps infini à dicter des cahiers d’une philosophie scolastique, et dans laquelle ils étaient maîtres de glisser des absurdités et toutes les erreurs qu’ils voulaient. On voudrait comprendre dans ce projet la théologie même : ce point est délicat, et fera le sujet de grandes contestations.

28. — On commence à parler d’une traduction des Géorgiques, par M. l’abbé Delille[1], jeune homme dont on a vu des vers fort joliment faits. Il n’est point rebuté par les détails agrestes où entre son auteur, et il prétend qu’on peut les rendre avec élégance en français. Il s’agit de prouver ce qu’il avance.

29. — On a joué aujourd’hui Heureusement, comédie en un acte et en vers. Ce drame est tiré du conte de M. Marmontel. Il a été bien reçu : il est écrit avec facilité, fort court, et n’a que très-peu d’intrigue. C’est un tissu des plus frêles. Le dénouement en est heureux, mais pas assez filé. En général, la pièce frise l’obscénité. Mademoiselle Dangeville en fait le principal mérite par son jeu. Il s’est passé un événement qui fait anecdote. L’amant et la maîtresse sont à table ; le premier est un jeune officier sur le point de partir pour l’armée ; il prend le verre : « Je vais boire à Cypris, » dit-il. « Je vais donc boire à Mars, » répond la femme. Mademoiselle Hus, qui faisait ce rôle, a jeté, une œillade au prince de Condé en prononçant ces dernières

  1. Jacques Delille, fils naturel d’Antoine Montanier, avocat du parlement, et de mademoiselle Marie Hieronyme Bérard, né à Port, près de Clermont-Ferrand, le 22 juin 1738 ; mort à Paris, le 11 mai 1813. — R.