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Page:De Bachaumont - Mémoires secrets Tome 1 - 1762-1765 - Ravenel - Ed. Brissot-Thivars - 1830.djvu/25

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de tout Paris. L’infortuné Bertin, aussi honteux de sa tendresse que piqué du changement de sa perfide, est, dit-on, dans le plus cruel désespoir.

2. — On a donné aujourd’hui, pour la troisième fois, Zulime, tragédie nouvelle de M. de Voltaire. Le jour de la première représentation, l’auteur nous a fait dire, dans une espèce de compliment, que cette pièce avait été jouée, il y a près de vingt-deux ans[1] ; qu’il l’avait retirée à la huitième représentation ; que d’autres occupations l’avaient empêché long-temps d’y faire les corrections dont elle était susceptible, mais qu’ayant paru étrangement défigurée à l’impression depuis environ six mois, ses entrailles paternelles s’étaient émues, et il avait cru devoir la donner au public telle qu’elle était. Sans parler aujourd’hui du fonds de la pièce, ce que nous ferons mieux lorsque les représentations seront finies, nous nous contenterons de rendre compte des motifs véritables qui ont fait jouer ce drame.

Il fut assez mal reçu du public autrefois, et tout le monde en général était d’avis que M. de Voltaire sacrifiât cet enfant indigne de sa plume ; mais par une bizarrerie qu’on remarque quelquefois dans les plus grands hommes, il s’est toujours obstiné à regarder cette tragédie comme excellente. Sa tendresse s’est accrue à proportion de la froideur du public, et depuis plusieurs années il n’a jamais donné aucune pièce aux Comédiens, qu’il n’ait mis pour clause que Zulime passerait avant. Ceux-ci ont éludé tant qu’ils ont pu de satisfaire à leur engagement. Enfin M. de Voltaire, toujours jaloux d’occuper la scène, et de tenir sans relâche les yeux fixés sur

  1. Ce fut le 20 juin 1740 ; et la première représentation de la reprise se donna le 29 décembre 1761 ; elle fut retirée après la neuvième. — W.