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Page:De Banville - Odes Funambulesques.djvu/25

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PRÉFACE.

papier timbré, le rhume de cerveau et le macadam. Les gens qui se promènent sur ce tréteau encombré de poufs, de fauteuils capitonnés et de chaises en laque, semblent en effet s’occuper de leurs affaires ; mais est-ce que je les connais, moi spectateur ? Est-ce que leurs affaires m’intéressent ? Je connais Hamlet, je connais Roméo, je connais Ruy Blas, parce qu’ils sont exaltés par l’amour, mordus par la jalousie, transfigurés par la passion, poursuivis par la fatalité, broyés par le destin. Ils sont des hommes, comme je suis un homme. Comme moi ils ont vu des lacs, des forêts, des grands chemins, des cieux constellés, des clairières argentées par la lune. Comme moi ils ont adoré, ils ont prié, ils ont subi mille agonies, la souffrance a enfoncé dans leurs cœurs les pointes de mille glaives. Mais comment connaîtrais-je ces bourgeois nés dans une boîte ? Ils ont, me direz-vous, les mêmes tracas que moi, de l’argent à gagner et à placer, des termes à payer, des remèdes à acheter chez le pharmacien. Mais justement c’est pour oublier tous ces ennuis que je suis venu dans un théâtre ! Que ces gens-là me soient étrangers, cela ne serait encore rien ; ce qu’il y a de pis,