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Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/392

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— Or ça, me payerez-vous ? dit la Stevenyne, me payerez-vous, meſſire Ulenſpiegel, qui faites si bonne graiſſe de la viande de prédicants ?

Lamme voulut parler, mais Ulenſpiegel le fit taire, & parlant à la Stevenyne :

— Nous ne payerons point d’avance, dit-il.

— Je me payerai donc après sur ton héritage, fit la Stevenyne.

— Les goules vivent de cadavres, répondit Ulenſpiegel.

— Oui, dit l’un des happe-chair, ces deux-là ont pris l’argent des prédicants ; plus de trois cents florins carolus. C’eſt un beau denier pour la Gilline.

Celle-ci chantait :

Cherche ailleurs de tels charmes,
Prends tout, mon amoureux,
Plaiſirs, baiſers & larmes,
Et la Mort si tu veux.

Puis, ricaſſant, elle dit :

— Buvons !

— Buvons ! dirent les happe-chair.

— Vive Dieu ! dit la Stevenyne, buvons ! les portes sont fermées, les fenêtres ont de forts barreaux, les oiſeaux sont en cage ; buvons !

— Buvons ! dit Ulenſpiegel.

— Buvons ! dit Lamme.

— Buvons ! dirent les sept.

— Buvons ! dirent les happe-chair.

— Buvons ! dit la Gilline, faiſant chanter sa viole Je suis belle, buvons ! Je prendrai l’archange Gabriel aux filets de ma chanſon.

— À boire donc, dit Ulenſpiegel, du vin pour couronner la fête, & du meilleur ; je veux qu’il y ait une goutte de feu liquide à chaque poil de nos corps altérés.

— Buvons ! dit la Gilline ; encore vingt goujons comme toi, & les brochets ceſſeront de chanter.

La Stevenyne apporta du vin. Tous étaient aſſis, buvant & bouffant, les happe-chair & les filles enſemble. Les sept, aſſis à la table d’Ulenſpiegel & de Lamme, jetaient de leur table à celle des filles des jambons, des sauciſſons, des omelettes & des bouteilles, qu’elles prenaient au vol comme des carpes happant des mouches au-deſſus d’un étang. Et la Stevenyne riait