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Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/412

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ouvrant la porte, il se mit à courir dans toute l’auberge & dans la rue, en chemiſe, & criant :

— Ma femme ? où eſt ma femme ?

Mais il revint bientôt, car les mauvais garçons le huaient & lui jetaient des pierres.

Et Ulenſpiegel lui dit, en le forçant de se vêtir :

— Ne te déſole point, tu la reverras, puiſque tu l’as vue. Elle t’aime encore, puiſqu’elle eſt revenue à toi, puiſque c’eſt elle sans doute qui a payé le souper & les chambres de seigneur, & qui t’a mis sur le lit cette pleine gibecière. Les cendres me diſent que ce n’eſt point là le fait d’une femme infidèle. Ne pleure plus, & marchons pour la défenſe de la terre des pères.

— Reſtons encore à Bruges, dit Lamme ; je veux courir par toute la ville, & je la retrouverai.

— Tu ne la trouveras point, puiſqu’elle se cache de toi, dit Ulenſpiegel.

Lamme demanda des explications au baes, mais celui-ci ne lui voulut rien dire.

Et ils s’en furent vers Damme.

Tandis qu’ils cheminaient, Ulenſpiegel dit à Lamme :

— Pourquoi ne me dis-tu pas comment tu la trouvas près de toi, cette nuit, & comment elle te quitta ?

— Mon fils, répondit Lamme, tu sais que nous avions fêté la viande, la bière & le vin, & que j’avais grand’peine à souffler lorſque nous marchâmes nous coucher. Je tenais pour m’éclairer une chandelle de cire, comme un seigneur, & avais mis le chandelier sur un bahut pour dormir ; la porte était reſtée entre-bâillée, le bahut était tout auprès. En me déſhabillant, je regardais mon lit avec grand amour & déſir de dormir ; la chandelle de cire s’éteignit tout à coup. J’entendis comme un souffle & un bruit de pas légers dans ma chambre ; mais ayant plus sommeil que peur, je me couchai peſamment. Comme j’allais m’endormir, une voix, sa voix, ô ma femme, ma pauvre femme ! me dit : As-tu bien soupé Lamme ? & sa voix était près de moi & son viſage auſſi, & son doux corps.