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Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/459

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s’en fut après le laiſſant vide, pour cacher sans doute en un autre endroit le tréſor dérobé. Soetkin, la veuve, n’avait point de confiance en moi, ne me connaiſſant point, mais bien en elles & les voyait tous les jours. Ce sont elles deux qui ont volé le bien de l’Empereur.

Le greffier écrivit, & le bailli dit à Katheline :

— Femme, n’as-tu rien à dire pour ta défenſe ?

Katheline, regardant Joos Damman, dit bien amoureuſement :

— C’eſt l’heure de l’orfraie. J’ai la main d’Hilbert, Hans, mon aimé. Ils diſent que tu me rendras les sept cents carolus. Ôtez le feu ! ôtez le feu ! cria-t-elle enſuite. À boire ! à boire ! la tête brûle. Dieu & les anges mangent des pommes dans le ciel.

Et elle perdit connaiſſance.

— Détachez-la du banc de torture, dit le bailli.

Le bourreau & ses aides obéirent. Et elle fut vue chancelante & les pieds gonflés, car le bourreau avait serré trop fort les cordes.

— Donnez-lui à boire, dit le bailli.

Il lui fut donné de l’eau fraîche, qu’elle avala avidement, tenant le gobelet dans les dents comme un chien fait d’un os, & ne le voulant point lâcher. Puis on lui donna encore de l’eau, & elle voulut aller en porter à Joos Damman, mais le bourreau lui ôta le gobelet des mains. Et elle tomba endormie comme une maſſe de plomb.

Joos Damman s’écria alors furieuſement :

— Moi auſſi, j’ai soif & sommeil. Pourquoi lui donnez-vous a boire ? Pourquoi la laiſſez-vous dormir ?

— Elle eſt faible, femme & folle, répondit le bailli.

— Sa folie eſt un jeu, dit Joos Damman, elle eſt sorcière. Je veux boire, Je veux dormir !

Et il ferma les yeux, mais les knechts du bourreau le frappèrent au viſage.

— Donnez-moi un couteau, cria-t-il, que je coupe en morceaux ces manants : je suis noble homme, & n’ai jamais été frappé au viſage. De l’eau, laiſſez-moi dormir, je suis innocent. Ce n’eſt point moi qui ai pris les sept cents carolus, c’eſt Hilbert. À boire ! Je ne commis jamais de sorcelleries ni d’incantations. Je suis innocent, laiſſez-moi. À boire !

Le bailli alors :

— À quoi, demanda-t-il, paſſais-tu le temps depuis que tu quittas Katheline ?