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Page:De Coster - La Légende d’Ulenspiegel, 1869.djvu/550

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IX


On était pour lors au mois des blés mûrs, l’air était peſant, le vent tiède : faucheurs & faucheuſes pouvaient à l’aiſe dans les champs récolter sous le ciel libre, sur un sol libre, le blé semé par eux.

Friſe, Drenthe, Overyſſel, Gueldre, Utrecht, Noord-Brabant, Noord & Zuid-Holland ; Walcheren, Noord & Zuid-Beveland ; Duiveland & Schouwen qui forment la Zélande ; toutes les côtes de la mer du Nord depuis Knokke juſqu’au Helder ; les îles Texel, Vieland, Ameland, Schiermonik-Oog, allaient, depuis l’Eſcaut occidental juſqu’à l’Ooſt-Ems, être délivrés du joug eſpagnol ; Maurice, fils du Taiſeux, continuait la guerre.

Ulenſpiegel & Nele, ayant leur jeuneſſe, leur force & leur beauté, car l’amour & l’eſprit de Flandre ne vieilliſſent point, vivaient coîment dans la tour de Necre, en attendant qu’ils puſſent venir souffler, après maintes cruelles épreuves, le vent de liberté sur la patrie Belgique

Ulenſpiegel avait demandé d’être nommé commandant & gardien de tour, diſant qu’ayant des yeux d’aigle & des oreilles de lièvre, il pourrait voir si l’Eſpagnol ne tenterait pas de se repréſenter dans les pays délivrés, & qu’alors il sonnerait wacharm, ce qui eſt alarme en langage flamand.

Le magiſtrat fit ce qu’il voulut : à cauſe de ses bons services, on lui donna un florin par jour, deux pintes de bière, des fèves, fromage, biſcuit, & trois livres de bœuf par semaine.

Ulenſpiegel & Nele vivaient ainſi à deux très-bien ; voyant de loin avec joie les îles libres de Zélande : prés, bois, châteaux & fortereſſes, & les navires armés des Gueux gardant les côtes.

La nuit, ils montaient à la tour bien souvent, & là, s’aſſeyant sur la plate-forme, ils deviſaient des dures batailles, des belles amours paſſées & à venir. De là, ils voyaient la mer, qui par ce temps chaud, ferlait & déferlait sur le rivage des vagues lumineuſes, les jetant sur les îles comme des fantômes de feu. Et Nele s’effrayait de voir dans les polders les feux follets, qui sont, diſait-elle, les âmes des pauvres morts. Et tous ces lieux avaient été des champs de bataille.

Les feux follets s’élançaient des polders, couraient le long des digues,