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Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/106

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LES ANCIENS CANADIENS.

Au soleil levant, il fit encore rencontre, à la même place, de l’étranger qui lui dit :

— Que la paix soit avec vous, mon frère !

— Jamais souhait ne vint plus à propos, répondit Larouche, car je crois que le diable est entré dans ma maison, où il tient son sabbat jour et nuit : ma femme me dévore depuis le matin jusqu’au soir, mes enfants me boudent, quand ils ne font pas pis ; et tous mes voisins sont déchaînés contre moi.

— J’en suis bien peiné, dit le voyageur ; mais que portez-vous dans ce petit paquet ?

— C’est ma dîme, reprit Larouche d’un air chagrin.

— Il me semble pourtant, dit l’étranger, que vous avez toujours eu le temps que vous avez souhaité ?

— J’en conviens, dit Davi ; quand j’ai demandé du soleil, j’en ai eu ; quand j’ai souhaité de la pluie, du vent, du calme, j’en avais ; et cependant rien ne m’a réussi. Le soleil brûlait le grain, la pluie le faisait pourrir, le vent le renversait, et le calme amenait la gelée pendant la nuit. Tous mes voisins se sont élevés contre moi : on me traitait de sorcier qui attirait la malédiction sur leurs récoltes. Ma femme même commença à me montrer de la méfiance, et a fini par se répandre en reproches et en invectives contre moi. En un mot, c’est à perdre l’esprit.

— C’est ce qui vous prouve, mon frère, dit le voyageur, que votre vœu était insensé ; qu’il faut toujours se fier à la providence du bon Dieu, qui sait mieux que l’homme ce qui lui convient ; ayez confiance en elle, et vous verrez que vous n’aurez pas l’humiliation de porter votre dîme dans un mouchoir.