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Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/123

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LE MANOIR D’HABERVILLE.

mon officier ; mais les temps sont si durs, que je n’ai pas d’argent, dit Jean-Baptiste en secouant la tête d’un air convaincu.

Nescio vos ! s’écrie mon oncle Raoul en grossissant la voix : reddite quæ sunt Cæsaris Cæsari.

— C’est bien beau ce que vous dites-là, mon… mon… capitaine ; si beau que je n’y comprends rien, fait le censitaire.

— C’est du latin, ignorant ! dit mon oncle ; et ce latin veut dire : payez légitimement les rentes au seigneur d’Haberville, à peine d’être traduit devant toutes les cours royales, d’être condamné en première et seconde instance à tous dépens, dommages, intérêts et loyaux-coûts.

— Ça doit pincer dur, les royaux coups, dit le censitaire.

— Tonnerre ! s’écrie mon oncle Raoul en élevant les yeux vers le ciel.

— Je veux bien croire, mon… mon seigneur, que votre latin me menace de tous ses châtiments ; mais j’ai eu le malheur de perdre ma pouliche du printemps.

— Comment, drôle ! tu veux te soustraire, pour une chétive bête de six mois, aux droits seigneuriaux établis par ton souverain, et aussi solides que les montagnes du nord, que tu regardes, le sont sur leurs bases de roc. Quos ego ! (b)

– Je crois, dit tout bas le censitaire, qu’il parle algonquin pour m’effrayer.

Et puis haut :

— C’est que, voyez-vous, ma pouliche, dans quatre ans, sera, à ce que disent tous les maquignons, la plus fine trotteuse de la côte du sud et vaudra cent francs comme un sou.