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Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/165

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LE BON GENTILHOMME.

perte ? comment se fait-il que, vainqueurs impitoyables, elles m’aient abattu et roulé dans la poussière ? Il me semble pourtant que je méritais un meilleur sort. Né, comme toi, de parents riches, qui m’idolâtraient, il m’était sans cesse facile de suivre les penchants de ma nature bienfaisante. Je ne cherchais, comme toi, qu’à me faire aimer de tout ce qui m’entourait. Comme toi, je m’apitoyais, dans mon enfance, sur tout ce que je voyais souffrir : sur l’insecte que j’avais blessé par inadvertance, sur le petit oiseau tombé de son nid. Je pleurais sur le sort du petit mendiant déguenillé, qui me racontait ses misères : je me dépouillais pour le couvrir ; et si mes parents, tout en me grondant un peu, n’eussent veillé sans cesse sur ma garde-robe, le fils du riche monsieur d’Egmont aurait été le plus mal vêtu de tous les enfants du collège où il pensionnait. Inutile d’ajouter que, comme toi, ma main était sans cesse ouverte à tous mes camarades : suivant leur expression, « je n’avais rien à moi. » C’est drôle, après tout, continua le bon gentilhomme en fermant les yeux comme se parlant à lui-même, c’est drôle que je n’aie alors éprouvé aucune ingratitude de la part de mes jeunes compagnons. L’ingratitude est-elle le partage de l’homme fait ? Ou, est-ce un piège que cette charmante nature humaine tend à l’enfant bon, confiant et généreux, pour mieux le dépouiller ensuite lorsque la poule sera plus grasse ? Je m’y perds ; mais non : l’enfance, l’adolescence ne peuvent être aussi dépravées ! Ça serait à s’arracher les cheveux de désespoir, à maudire……

Et toi, Jules, reprit le vieillard après cet a parte, as-tu déjà éprouvé l’ingratitude de ceux que tu as