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Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/191

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LÉGENDE DE MADAME D’HABERVILLE.

surprise, que c’était un ancien bedeau du village, mort depuis vingt ans. La vue de ce spectre ne lui inspira aucune crainte : tout sentiment semblait éteint chez elle, si ce n’est celui de la douleur. Le fantôme monta les marches de l’autel, alluma les cierges ; et fit les préparations usitées pour célébrer une messe de requiem. Lorsqu’il se retourna, ses yeux lui parurent fixes et sans expression, comme ceux d’une statue. Il rentra dans la sacristie, et reparut presque aussitôt, mais cette fois précédant un vénérable prêtre portant un calice et revêtu de l’habit sacerdotal d’un ministre de Dieu qui va célébrer le saint sacrifice. Ses grands yeux démesurément ouverts étaient empreints de tristesse ; ses mouvements, ceux d’un automate qu’un mécanisme secret ferait mouvoir. Elle reconnut, en lui, le vieux curé, mort aussi depuis vingt ans, qui l’avait baptisée et lui avait fait faire sa première communion. Loin d’être frappée de stupeur à l’aspect de cet hôte de la tombe, loin d’être épouvantée de ce prodige, la pauvre mère, toute à sa douleur, pensa que son vieil ami, touché de son désespoir, avait brisé les liens du linceul pour venir offrir une dernière fois pour elle le saint sacrifice de la messe ; elle pensa que ce bon pasteur qui l’avait consolée tant de fois, venait à son secours dans ses angoisses maternelles.

Tout était grave, morne, lugubre, sombre et silencieux pendant cette messe célébrée et servie par la mort. Les cierges même jetaient une lumière pâle comme celle d’une lampe qui s’éteint. À l’instant où la cloche du sanctus, rendant un son brisé comme celui des os que casse le fossoyeur dans un vieux cimetière, annonçait que le Christ allait descendre sur l’autel, la porte de la sacristie s’ouvrit de nouveau et donna pas-