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Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/219

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UNE NUIT AVEC LES SAUVAGES.

qu’ils étaient, devinrent bientôt ternes, et l’hébétement de l’ivresse commença à paraître sur son visage.

— C’est bon ça, dit l’Indien en rendant le flacon.

— Dumais n’en offre pas à son frère la Grand’-Loutre, dit le canadien ; il sait qu’il n’en boit pas.

— Le Grand-Esprit aime la Grand’-Loutre, dit celui-ci, il lui a fait vomir la seule gorgée d’eau-de-feu qu’il ait bue. Le Grand-Esprit aime la Grand’-Loutre, il l’a rendu si malade qu’il a pensé visiter le pays des âmes. La Grand’-Loutre l’en remercie : l’eau-de-feu ôte l’esprit à l’homme.

Ce sauvage, par une rare exception et au grand regret du Canadien, était abstème de nature.

— C’est bon l’eau-de-feu, dit Talamousse après un moment de silence en avançant encore la main vers le flacon que Dumais retira ; donne, donne, mon frère, je t’en prie ; encore un coup, mon frère, je t’en prie.

— Non, dit Dumais, pas à présent ; tantôt.

Et il remit le flacon dans son sac.

— Le Grand-Esprit aime aussi le Canadien, reprit Dumais après une pause, il l’a visité la nuit dernière pendant son sommeil.

— Qu’a-t-il dit à mon frère ? demandèrent les sauvages.

— Le Grand-Esprit lui a dit de racheter le prisonnier, fit Dumais.

— Mon frère ment comme un Français, s’écria la Grand’-Loutre : il ment comme tous les visages-pâles : les peaux-rouges ne mentent pas eux (e).

— Les Français ne mentent jamais quand ils parlent du Grand-Esprit, dit le Canadien.

Et retirant le flacon du sac, il avala une demi-gorgée d’eau-de-vie.