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Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/358

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LES ANCIENS CANADIENS.

ce que des prisonniers français, condamnés au bûcher par les sauvages, avaient dû la vie à des femmes indiennes qui les avaient épousés.

La sentence de McLane ne fut pourtant pas exécutée dans toute son horreur. J’ai tout vu, de mes yeux vu : un grand écolier, nommé Boudrault, me soulevait de temps à autre dans ses bras, afin que je ne perdisse rien de cette dégoûtante boucherie. Le vieux Dr. Duvert était près de nous ; il tira sa montre aussitôt que Ward, le bourreau, renversa l’échelle sur laquelle McLane, la corde au cou et attaché au haut de la potence, était étendu sur le dos ; le corps, lancé de côté par cette brusque action, frappa un des poteaux de la potence, et demeura ensuite stationnaire, après quelques faibles oscillations.

— « Il est bien mort, » dit le Dr. Duvert, lorsque le bourreau coupa la corde à l’expiration de vingt-cinq minutes ; « il est bien mort : il ne sentira pas toutes les cruautés qu’on va lui faire maintenant ! » Chacun était sous l’impression que la sentence allait être exécutée dans toute sa rigueur, que la victime éventrée vivante verrait brûler ses entrailles ! mais, non : le malheureux était bien mort quand Ward lui ouvrit le ventre, en tira le cœur et les entrailles qu’il brûla sur un réchaud, et qu’il lui coupa la tête pour la montrer toute sanglante au peuple.

Les spectateurs les plus près de la potence rapportèrent que le bourreau refusa de passer outre après la pendaison, alléguant « qu’il était bourreau, mais qu’il n’était pas boucher, » et que ce ne fut qu’à grands renforts de guinées que le shérif réussit à lui faire exécuter toute la sentence ; qu’à chaque nouvel acte de ce drame sanglant, il devenait de plus en plus exigeant. Toujours est-il que le sieur Ward devint après cela un personnage très important : il ne sortait dans la rue qu’en bas de soie, coiffé d’un chapeau tricorne et l’épée au côté. Deux montres, l’une dans le gousset de sa culotte, et l’autre, pendue à son cou avec une chaîne d’argent, complétaient sa toilette.

Je ne puis m’empêcher, en me séparant de cet exécuteur des hautes œuvres, de rapporter un fait dont je n’ai jamais pu me rendre compte. À mon arrivée à Québec, vers l’âge de neuf ans, pour aller à l’école, on semblait regretter un bon bourreau nommé Bob ; c’était un nègre dont tout le monde faisait des éloges. Cet éthiopien aurait dû inspirer l’horreur qu’on éprouve pour les gens de son métier ; mais tout au contraire, Bob entrait dans les maisons comme les autres citoyens, jouissait d’un caractère d’honnêteté à toute épreuve, faisait les commissions ; et tout le monde l’aimait. Il y avait, autant que je puis me souvenir, quelque chose de bien touchant dans l’histoire de Bob : il était victime de la fatalité, qui l’avait fait exécuteur des hautes œuvres à son corps défendant. Il versait des larmes quand il s’acquittait de sa cruelle besogne. Je ne sais pourquoi ma mémoire, si tenace pour tout ce que j’ai vu et entendu pendant ma plus tendre enfance, me fait défaut, quand il s’agit d’expliquer la cause de cette sympathie dont Bob était l’objet.

Mais je reviens à McLane. Un spectacle semblable ne pouvait manquer