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Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/4

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LES ANCIENS CANADIENS.

main d’un air empressé, en me disant : — « Heureux de vous voir ; j’ai conversé ce matin avec onze personnes ; eh bien ! mon cher, tous êtres insignifiants ! pas une idée dans la caboche ! » Et il me secouait le bras à me le disloquer. — « Savez-vous, lui dis-je, que vous me rendez tout fier ; car je vois, à votre accueil chaleureux, que je suis l’exception, l’homme que vous attendiez pour… » — « Eh oui ! mon cher, fit-il sans me permettre d’achever ma phrase, ce sont les seules paroles spirituelles que j’aie entendues ce matin. » Et il traversa la rue pour parler à un client qui se rendait à la cour : son douzième imbécile, sans doute.

— « Diable ! pensais-je, il paraît que les hommes d’esprit ne sont pas difficiles, si c’est de l’esprit que je viens de faire : j’en ai alors une bonne provision ; je ne m’en étais pourtant jamais douté. »

Tout fier de cette découverte, et en me disant à moi-même que j’avais plus d’esprit que les onze imbéciles dont m’avait parlé mon ami, je vole chez mon libraire, j’achète une rame de papier foolscap, c’est-à-dire, peut-être, papier-bonnet ou tête de fou, comme il plaira au traducteur, — et je me mets à l’œuvre.

J’écris pour m’amuser, au risque de bien ennuyer le lecteur qui aura la patience de lire ce volume ; mais comme je suis d’une nature compatissante, j’ai un excellent conseil à donner à ce cher lecteur : c’est de jeter promptement le malencontreux livre, sans se donner la peine de le critiquer : ce serait lui accorder trop d’importance, et, en outre, ce serait un labeur inutile pour le critique de bonne foi, car à l’encontre de ce vieil archevêque de Grenade, dont parle Gil Blas, si chatouilleux à l’endroit de ses