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Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/403

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NOTES DU CHAPITRE QUINZIÈME.

me prenaient pour un sauvage pur sang, et étaient assez disposés à l’indulgence envers celui qui leur avait donné une telle comédie.[1]

Maintenant, mon révérend père, continua M. de Saint-Luc, je vous avouerai que j’ai eu quelquefois des petits picottements de conscience, quoique messieurs les Anglais aient fait les choses galamment en laissant passer mes marchandises exemptes de droits ; et comme son Excellence vous a laissé la décision de cette question théologique, avec promesse d’y souscrire, j’attends votre sentence.

Le père de Bérey avait pour habitude dans la chaleur de la discussion, ou quand il était pris à l’improviste de tutoyer, par distraction ; il marmotta entre ses dents :

— « Je ne te croyais pas si fin. »

— Que dites-vous, mon révérend père, fit M. de Saint-Luc ?

— « Que le diable en rit, répliqua le moine. »

Cette saillie excita l’hilarité des convives Canadiens et Anglais ; et du général Haldimand lui-même.

En terminant cette note, je me permettrai de citer quelques fragments d’une lettre du même M. de Saint-Luc, que j’ai extraits des « Mémoires de Famille » de ma bonne amie et parente madame Eliza Anne Baby, veuve de feu l’Honorable Charles E. Casgrain. Cette lettre semble avoir été écrite d’hier tant elle renferme d’actualité ; elle fait voir en même temps avec quelle rectitude de jugement, et quel coup d’œil sur, cet homme remarquable envisageait les affaires du pays.

À Monsieur Baby, à Québec, en Canada.
« Paris, rue des fosses Montmartre, ce 20 mars, 1775. »

« J’ay reçu, mon cher pays, celle que vous m’avez fait l’amitié de m’écrire… Recevez mes remercîments des bonnes nouvelles que vous me donnez et du détail consolant que vous m’y faites sur la réponse du gouvernement aux demandes qui lui avaient été faites de la part des Canadiens. Il paroit que cette cour est remplie de bonne volonté à leur égard ; je suis intimement persuadé qu’il dépendra d’eux d’obtenir également une décision favorable. Sur les appréhensions qui vous restent, et dont vous me parlez, si vous estes tous bien unis, que vous ne vous divisiez pas et que vous soyez surtout d’accord avec votre preslal, qui est éclairé et (aussi) par les grâces de son état, vous verrez que tout ira bien. Vous ne devez, mon cher pays, ne faire qu’un corps et une âme, et suivre aveuglément l’advis de votre premier pasteur…… L’histoire des Bostonais et des colonies anglaises révoltées fait icy beaucoup de bruit ; il paroit…… qu’ils ont pris le dessus. Quoiqu’il en soit, je crois fermement que vous avez très-bien fait et agi sagement en ne prenant point partie pour eux ; soyez toujours neutres, comme les Hollandais, et reconnaissants des bontés du gouvernement ; mon principe est de ne pas manquer le premier, et l’ingratitude est mon monstre ; soyez

  1. M. de Saint-Luc parlait avec facilité quatre à cinq idiomes indiens.