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Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/43

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— Tout ce que je peux vous dire pour le moment, mes mignons, leur cria mon défunt père, c’est que si vous ne mangez jamais d’autre lard que celui que je vous porterai, vous n’aurez pas besoin de dégraisser votre soupe.

Les sorciers paraissaient, cependant, attendre quelque chose, car ils tournaient souvent la tête en arrière ; mon défunt père regarde itou (aussi). Qu’est-ce qu’il aperçoit sur le coteau ? un grand diable bâti comme les autres, mais aussi long que le clocher de Saint-Michel, que nous avons passé tout à l’heure. Au lieu de bonnet pointu, il portait un chapeau à trois cornes surmonté d’une épinette en guise de plumet. Il n’avait ben qu’un œil, le gredin qu’il était ; mais ça en valait une douzaine : c’était sans doute le tambour major du régiment, car il tenait d’une main une marmite deux fois aussi grosse que nos chaudrons à sucre qui tiennent vingt gallons ; et, de l’autre, un battant de cloche qu’il avait volé, je crois, le chien d’hérétique, à quelque église avant la cérémonie du baptême. Il frappe un coup sur la marmite, et tous ces insécrables (exécrables) se mettent à rire, à sauter, à se trémousser en branlant la tête du côté de mon défunt père, comme s’ils l’invitaient à venir se divertir avec eux.

— Vous attendrez longtemps, mes brebis, pensait, à part lui, mon défunt père, dont les dents claquaient dans la bouche comme un homme qui a les fièvres tremblantes ; vous attendrez longtemps, mes doux agneaux ; il y a de la presse de quitter la terre du bon Dieu pour celle des sorciers !

Tout à coup le diable géant entonne une ronde infernale, en s’accompagnant sur la marmite qu’il frappait à coups pressés et redoublés, et tous les