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Page:De Gaspé - Les anciens canadiens, 1863.djvu/93

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UN SOUPER CHEZ UN SEIGNEUR CANADIEN.

une de ces journées étouffantes de chaleur dont on ne jouit que près des tropiques. Je m’étais couché sur le beaupré de mon vaisseau pour respirer la brise du soir. Sauf les moustiques, les brûlots, les maringouins, et le bruit infernal que faisaient les caïmans réunis, je crois, de toutes les parties du Père des Fleuves, pour me donner une aubade, un prince de l’Orient aurait envié mon lit de repos. Je ne suis pourtant pas trop peureux de mon naturel, mais j’ai une horreur invincible pour toute espèce de reptiles, soit qu’ils rampent sur la terre, soit qu’ils vivent dans l’eau.

— Vous avez, capitaine, dit Jules, des goûts délicats, raffinés, aristocratiques, pour lesquels je vous honore.

— Tu oses encore parler, méchant garnement, s’écria Marcheterre en le menaçant, tout en riant, de son énorme poing : j’allais t’oublier, mais tu auras ton tour bien vite. En attendant je continue : je me trouvais heureux dans ma sécurité sur mon mât d’où j’entendais craquer les mâchoires de ces monstres affamés. Je narguais même mes ennemis en leur disant : — vous seriez très friands, mes petits moutons, de faire un bon souper de ma carcasse, mais il n’y a qu’une petite difficulté ; c’est, voyez-vous, que quand bien même il vous faudrait jeûner toute votre vie comme des anachorètes, ça ne sera toujours pas moi qui vous ferai rompre votre jeûne : j’ai la conscience trop timorée pour cela.

Je ne sais trop, continua Marcheterre, comment la chose arriva ; mais toujours est-il que je finis par m’endormir, et que quand je m’éveillai j’étais au beau milieu de ces jolis enfants. Il est impossible de