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Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/13

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MÉMOIRES.

à un prix fabuleux. Bref, Pic de la Mirandole n’était qu’un sot comparé au fils Philippe de ma mère.

Raillerie à part, il paraît que j’avais alors une mémoire étonnante. Il me semble que j’ai toujours su lire : une circonstance assez naturelle engagea ma mère à me l’enseigner. Elle me tenait un jour sur ses genoux en s’amusant à lire, lorsque pointant avec mon petit doigt quelques lettres à la mine assez bizarre, elle m’en nomma trois ou quatre. Me tenant encore sur ses genoux, un livre à la main, après un laps d’une quinzaine de jours, je poussai un cri de joie en lui nommant, sans hésiter, mes nouveaux amis à la mine hétéroclite. Ô infortuné Philippe ! le plus paresseux de tous les enfants ! tu viens de sceller toi-même ta condamnation, ton esclavage : combien de férules, de pensums, de pénitences, tes traîtres amis vont-ils te procurer ? leur nombre en est légion !

On fondait déjà les plus belles espérances sur mon avenir, quand, hélas ! une malheureuse attaque de fièvres typhoïdes, que j’eus, à l’âge de sept ans, me mit à deux doigts de la mort. Le médecin qui me sauva la vie, prédit que je perdrais cette grande mémoire à la suite de cette cruelle maladie. Il a en partie prophétisé : je n’ai eu ensuite pendant le cours de mes études qu’une mémoire très-ordinaire : plutôt ingrate qu’heureuse. Toutefois, quant à celle des événements dont j’ai été témoin, des conversations les plus triviales en apparence que j’ai entendues, des lieux et objets que j’ai vus, je puis affirmer qu’elle est prodigieuse. Les choses mêmes les plus insignifiantes, que j’ai apprises dès l’âge