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Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/156

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MÉMOIRES.

rière, ma chasuble, qui se fend des deux côtés de mes épaules et tombe dans la rue ; tandis qu’un troisième, faisant un bond prodigieux, assène un fort coup de poing sur ma mître, laquelle, après m’avoir écorché les oreilles, me tombe sur les deux épaules, fendue dans toute sa longueur.

Je fus assez déniaisé au bout de six à sept mois pour hurler avec les loups, pour rendre coup de griffe pour coup de griffe ; bref, je devins un gamin formidable et des plus turbulents. J’étais le souffre-douleur d’un seul, du citoyen McCarthy ; et j’avais hâte de secouer le joug qu’il m’imposait. Il me forçait d’acheter de lui tous les colifichets qu’il fabriquait ; tout mon argent passait de mes poches dans la sienne et j’étais toujours endetté envers lui. Il avait deviné, tout jeune qu’il était, le secret de l’usurier pour tenir l’emprunteur sous sa botte. Si McCarthy n’avait pas la force musculaire, il avait la force morale, et était craint des autres enfants, qui n’avaient jamais le dernier mot avec lui.

Justin avait l’avantage, comme la chauve-souris de la fable d’être un être double. Né d’un père irlandais, il se servait d’un jeune Anglais pour châtier un enfant canadien qui l’avait battu ; né d’une mère canadienne, il se servait des jeunes Français pour châtier son ennemi britannique. La facilité, très rare à cette époque, avec laquelle il parlait les deux langues, lui était très avantageuse pour jouer l’un et l’autre rôle. Toutes ses sympathies étaient pourtant pour notre race, mais quand il s’agissait de se venger, il n’y regardait pas de si près.