Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/272

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monie. Nous étions tous canadiens-français à l’exception de feu Monsieur John Ross et de Monsieur John Gawler Thompson, depuis juge à Gaspé ; mais comme nos amis anglais nés au Canada parlaient la langue française avec autant d’aisance que nous, la conversation se faisait dans cet idiome. Notre nouvelle connaissance militaire aurait eu mauvaise grâce de se trouver mal à l’aise, car il parlait le français parisien le plus recherché ; et le premier usage qu’il en fit, après avoir mangé le potage, fut de dire à Plamondon son vis-à-vis :

— Monsieur l’abbé me ferait-il l’honneur de boire du vin avec moi ?

Nous partîmes tous d’un éclat de rire à cette sortie.

— Je ne crois pourtant pas m’être trompé, fit O’Gorman : Monsieur est sans doute le curé de la ville de Québec ?

Cette seconde sortie redoubla notre hilarité, et nous assurâmes O’Gorman qu’il avait deviné juste.

Plamondon ne se tint pas pour battu, et dit après avoir fait raison à O’Gorman :

— Permettez-moi, Monsieur, de vous introduire un confrère, le chanoine Aubert de Gaspé.

Plamondon ne pouvait guère choisir un meilleur type. J’étais à cette époque très-corpulent et d’une santé à faire pâlir le chanoine du Lutrin de Boileau. Les rires redoublèrent et cette fois à mes dépens ; mais O’Gorman ne prit pas le change.

— Mille pardons, Monsieur l’abbé, fit-il, mais jamais chanoine n’a eu l’œil perçant, ni le jeu de physionomie de votre voisin !