Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/394

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oublier l’Écosse, et le digne chevalier éprouvait une jouissance à nulle autre pareille, lorsque tous les mentons des convives avançaient simultanément, et en ordre de bataille, pour faire une petite ablution dans les petits vases qui servent à cet usage avant le dessert.

On dit, ou c’est moi qui le suppose, qu’il faisait toujours un petit cadeau à la fin du repas à celui qui s’était le plus distingué dans sa spécialité. Quelle bonne fortune pour mon matelot, s’il eût été jugé digne de s’asseoir à la table du bon chevalier ! Il lui aurait certainement fait une pension viagère, à la charge d’assister sa vie durant aux festins des grands mentons.

Mais je reviens à mon pauvre client qui attend avec patience le verdict du jury. J’avoue que l’aspect du plaignant me fit perdre beaucoup de la confiance que j’avais inspirée à mon client dans la bonté de sa cause.

— Comment avez-vous fait, mon cher Paschal, lui dis-je, pour mutiler ce pauvre diable d’une façon si cruelle ?

— Cet animal douillet, répliqua mon client, fait l’âne pour avoir de l’avoine, et exhibe son menton pour en imposer à la justice : ce trait chez lui était déjà très prononcé avant l’accident ; et je vous dirai en confidence qu’il est probable que je ne l’aurais pas frappé, malgré la provocation, s’il n’eût avancé sur moi son grand menton bête qui m’a tenté ; car voyez-vous, un menton de longueur démesurée m’agace les nerfs. Et vous savez, d’ailleurs, qu’il est impossible de replacer les os dans leur état normal, sans qu’il s’ensuive quelques légères difformités.