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Page:De Gaspé - Mémoires. 1866.djvu/524

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l’expiration d’une grosse demi-heure que je fus introduit dans ce sanctuaire réputé inviolable.

L’air vénérable du solitaire m’impressionna vivement : il y avait, en effet, quelque chose de bien imposant dans ce visage pâle, souffrant, et sillonné de rides probablement précoces : dans ce front haut et large, siége d’une forte intelligence, dans cette longue chevelure blanche comme la neige, qui lui tombait sans désordre sur les épaules. Autant qu’il me fut possible de juger de la taille de cet homme quasi immobile sur son fauteuil pendant notre entrevue, Monsieur Roxburg devait être d’une haute stature, et malgré l’expression sévère qu’il s’efforçait d’imprimer à ses traits en me voyant, il me parut qu’il devait y avoir habituellement beaucoup de douceur dans sa physionomie. Je m’attendais à voir un ours mal léché ; et j’étais en présence d’un parfait gentleman que les chagrins dévoraient depuis plus de vingt ans, sans mettre fin à des souffrances morales que la mort seule devait terminer.

— Il faut, sans doute, jeune homme, me dit-il, que des motifs bien pressants (il se servit du mot cogent) vous induisent à troubler ma solitude ?

J’étais mal à l’aise, mais plutôt chagrin qu’intimidé, et ce fut d’une voix émue que je répondis que j’obéissais aux ordres de Monsieur Perrault, avocat, mon patron.

Il soupira en me montrant un siége près d’une table couverte de livres, près de laquelle il était assis : parmi ces livres, une grande bible de famille attira mes regards, car elle était ouverte au livre de Job. Une nouvelle expression de souffrance se manifesta sur son visage