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Page:De Sales - Introduction à la vie dévote, 1619, édition Boulenger, 1909.pdf/212

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mandement : « Courroucez-vous et ne péchez point » est à mon avis plus difficile que cestui-ci : « Ne vous courroucez point », et qu’il est plus tôt fait d’éviter la colère que de la régler, aussi est-il plus aisé de se garder tout à fait de voluptés charnelles que de garder la modération en icelles. Il est vrai que la sainte licence du mariage a une force particulière pour éteindre le feu de la concupiscence, mais l’infirmité de ceux qui en jouissent passent aisément de la permission à la dissolution, et de l’usage à l’abus. Et comme l’on voit beaucoup de riches dérober, non point par indigence, mais par avarice, aussi voit-on beaucoup de gens mariés se déborder par la seule intempérance et lubricité, nonobstant le légitime objet auquel ils se devraient et pourraient arrêter, leur concupiscence étant comme un feu volage qui va brûletant çà et là sans s’attacher nulle part. C’est toujours chose dangereuse de prendre des médicaments violents, parce que si l’on en prend plus qu’il ne faut, ou qu’ils ne soient pas bien préparés, on en reçoit beaucoup de nuisance : le mariage a été béni et ordonné en partie pour remède à la concupiscence et c’est sans doute un très bon remède, mais violent néanmoins, et par conséquent très dangereux s’il n’est discrètement employé.

J’ajoute que la variété des affaires humaines, outre les longues maladies, sépare souvent les maris d’avec leurs femmes, c’est pourquoi les mariés ont besoin de deux sortes de chasteté : l’une, pour l’abstinence absolue quand ils sont séparés, ès occasions que je viens de dire ; l’autre, pour la modération quand ils sont ensemble en leur train ordinaire. Certes, sainte Catherine de Sienne vit entre les damnés plusieurs âmes grandement tourmentées pour